La fabrication artisanale de savons, un art ancestral revisité, connaît aujourd’hui un regain d’intérêt passionné.

Loin des processus industriels souvent opaques, cette pratique offre une alternative authentique, permettant de créer des produits d’une qualité exceptionnelle, adaptés aux besoins spécifiques de chacun.

Les racines historiques du savon : un héritage millénaire

Des premières traces à l’Antiquité

L’histoire du savon est aussi riche et ancienne que celle de l’humanité. Les premières évocations de la saponification, cette réaction chimique fondamentale, remontent au IIIe millénaire avant notre ère, dans les civilisations de Babylone et de Sumer.

Des tablettes d’argile découvertes sur le site de Telloh révèlent que les Sumériens maîtrisaient déjà l’art de mélanger graisses animales et cendres bouillies pour obtenir une substance aux propriétés nettoyantes.
Les Égyptiens, quant à eux, utilisaient le natron, un carbonate de soude naturel, pour leur hygiène corporelle et à des fins pharmaceutiques, comme en témoigne le papyrus Ebers (1550 av. J.-C.).

L’essor européen et la naissance du savon de Marseille

En Europe, les Germains et les Celtes fabriquaient leur savon à partir de graisse de chèvre et de cendres de bouleau. Pline l’Ancien attribue même l’invention du savon aux Gaulois.

Cependant, c’est en Provence, riche en huile d’olive, soude et sel de Camargue, que la savonnerie prend son essor dès le Moyen Âge.
Marseille s’impose comme un centre majeur de production au XVIIe siècle. Un jalon essentiel est posé en 1688 avec l’édit de Colbert, qui institutionnalise le savon de Marseille en fixant des règles de fabrication strictes : utilisation exclusive d’huiles d’olive pures et cuisson en grandes chaudières, proscrivant toute graisse animale.
Cet édit confère au savon de Marseille une renommée internationale qui perdure encore aujourd’hui.

L’industrialisation au XVIIIe et XIXe siècles, avec les avancées technologiques et chimiques (procédé Leblanc, explication de la saponification par Eugène Chevreul), transforme le savon en un produit de consommation courante.

La science derrière l’art : comprendre la saponification

Qu’est-ce que la saponification ?

Au cœur de la fabrication du savon se trouve la saponification, une réaction chimique fascinante.
Il s’agit de la transformation d’un corps gras (huiles végétales ou beurres) en savon et en glycérine, sous l’action d’une base forte (soude caustique pour les savons solides, potasse pour les savons liquides).

Cette réaction peut être réalisée à chaud ou à froid, chaque méthode ayant ses spécificités.

La méthode à froid : une approche douce et respectueuse

La saponification à froid est particulièrement prisée dans la savonnerie artisanale.

Contrairement à la méthode à chaud, elle ne nécessite pas de chauffage externe intense, ce qui permet de préserver les propriétés intrinsèques des huiles et beurres utilisés.

Le processus est le suivant :

• Préparation des phases aqueuse et huileuse : Les ingrédients sont pesés minutieusement. La phase aqueuse est un mélange d’eau froide et d’hydroxyde de sodium (soude caustique). La phase huileuse est composée d’huiles et de beurres végétaux, parfois légèrement chauffés pour homogénéiser le mélange.
• Mélange et trace : La solution de soude est versée dans les huiles (jamais l’inverse) et le mélange est brassé à l’aide d’un mixeur plongeant. La réaction de saponification commence, et la pâte s’épaissit progressivement jusqu’à atteindre le stade de la trace, où un sillon reste visible à la surface.
• Ajout des ingrédients actifs : À ce stade, des huiles essentielles, des colorants naturels (argiles, poudres de plantes), des exfoliants (graines, flocons d’avoine) ou d’autres additifs sont incorporés pour personnaliser le savon.
• Coulage et repos : La pâte est ensuite coulée dans des moules. Le savon repose pendant 12 à 24 heures, période durant laquelle la réaction se poursuit et la chaleur est conservée pour favoriser la phase de gel.
• Démoulage, découpe et cure : Une fois durci, le savon est démoulé, découpé en pains et mis en cure. Cette période de séchage, d’une durée minimale de 4 à 6 semaines, est cruciale. Elle permet au processus de saponification de s’achever complètement, à l’eau de s’évaporer, et au pH du savon de s’adoucir, garantissant ainsi un produit doux et durable.

L’un des avantages majeurs de la saponification à froid est le surgras. Il s’agit d’un excès d’huiles ou de beurres non saponifiés, volontairement laissé dans la recette.
Ce surgras confère au savon des propriétés nourrissantes, adoucissantes et protectrices pour la peau, aidant à maintenir son film hydrolipidique naturel.

De plus, cette méthode est économe en énergie, réduisant ainsi son impact environnemental.

Le matériel essentiel pour débuter

L’équipement de base

Pour se lancer dans la fabrication de savon artisanal, nul besoin d’investir dans un équipement sophistiqué.

La plupart des ustensiles nécessaires se trouvent déjà dans votre cuisine :

• Balance de cuisine précise
• Récipients résistants à la chaleur (inox, verre Pyrex, plastique épais)
• Mixeur plongeant
• Spatules et cuillères en bois ou en silicone
• Thermomètre de cuisine
• Moules (en silicone pour un démoulage facile, ou des boîtes tapissées de papier cuisson)

La sécurité avant tout

La manipulation de la soude caustique (hydroxyde de sodium) requiert des précautions indispensables.

Il est impératif de travailler dans un espace bien ventilé et de porter un équipement de protection individuelle :

• Gants résistants aux produits chimiques
• Lunettes de protection
• Vêtements à manches longues
• Masque de protection respiratoire (facultatif mais recommandé)

Une recette simple pour commencer

Voici une recette de savon à refondre, idéale pour les débutants, qui permet de s’initier aux bases sans manipuler de soude caustique directement :

Ingrédients nécessaires

• 200g de savon en paillettes sans parfum (type savon de Marseille)
• 2 cuillères à soupe d’huile végétale (olive, amande douce, jojoba, etc.)
• 1 verre d’eau déminéralisée ou distillée
• 1 cuillère à soupe de lait (vache, chèvre, coco)
• 20 gouttes d’huile essentielle (au choix)

Étapes de fabrication

• Faire chauffer au bain-marie le savon en paillettes et l’huile végétale, en remuant doucement avec une cuillère en bois.
• Dans un autre bain-marie, faire chauffer l’eau.
• Incorporer le mélange savon-huile à l’eau, en remuant avec un fouet jusqu’à obtenir une pâte homogène.
• Ajouter le lait, puis les huiles essentielles (une fois la pâte tiédie pour préserver leurs propriétés).
• Verser la pâte dans des moules et laisser reposer à l’air libre pendant environ 12 heures.
• Démouler les savons. S’ils sont encore humides, les laisser sécher à l’air libre quelques heures supplémentaires.

Pour des savons colorés, ajoutez quelques gouttes de colorant alimentaire ou des poudres naturelles (cannelle pour le beige, cacao pour le brun, curcuma pour le jaune-pêche, paprika pour le pêche) à l’étape de l’ajout des huiles essentielles.

Personnalisation et esthétique : l’art de créer des savons uniques

La fabrication artisanale de savons est un véritable terrain de jeu pour la créativité.
Au-delà de leurs propriétés nettoyantes, les savons peuvent devenir de véritables œuvres d’art, alliant esthétique et sensorialité.

Couleurs et formes : une palette infinie

Les colorants naturels offrent une vaste gamme de teintes : les argiles (verte, rose, rouge) pour des tons terreux, le charbon végétal pour un noir profond, le curcuma pour un jaune éclatant, la spiruline pour des nuances de vert, ou encore les poudres de plantes comme la garance pour le rose.
Les moules en silicone, disponibles dans une multitude de formes (géométriques, florales, animales), permettent de créer des savons aux designs variés, transformant chaque pain en un objet unique.

Parfums et textures : l’éveil des sens

Les huiles essentielles sont les alliées parfaites pour parfumer naturellement les savons, apportant non seulement des fragrances délicates mais aussi leurs propriétés aromathérapeutiques.

Lavande apaisante, citron vivifiant, menthe rafraîchissante, ylang-ylang exotique etc. les combinaisons sont infinies.

Pour les textures, des exfoliants naturels comme les graines de pavot, le marc de café, les flocons d’avoine ou les pétales de fleurs séchées peuvent être ajoutés, offrant une expérience sensorielle enrichie et des bienfaits supplémentaires pour la peau.

L’aspect économique : un choix judicieux et durable

Réaliser des économies significatives

Fabriquer ses propres savons est également un geste économique. Bien que l’investissement initial dans les matières premières puisse sembler modeste, les économies réalisées sur le long terme sont substantielles.

Un savon artisanal dure généralement plus longtemps qu’un savon industriel, et le coût des ingrédients de base est souvent inférieur à celui des produits finis du commerce.

À titre d’exemple, une économie d’environ 10€ par mois peut être réalisée, soit plus de 100€ par an.

Un investissement pour la qualité et la santé

Au-delà des économies financières, la fabrication maison permet un contrôle total sur les ingrédients. Cela garantit l’utilisation de produits de qualité, sans additifs superflus, conservateurs agressifs ou substances controversées.

C’est un investissement dans la santé de votre peau et dans le respect de l’environnement, en privilégiant des ingrédients naturels et biodégradables.

La fabrication artisanale de savons est bien plus qu’un simple passe-temps ; c’est une démarche créative, écologique et économique.

Elle offre la satisfaction de créer un produit unique, adapté à ses besoins, tout en renouant avec des savoir-faire ancestraux.
Que vous soyez attiré par l’histoire, la chimie, l’esthétique ou la quête d’une consommation plus responsable, l’aventure de la savonnerie artisanale vous ouvre ses portes.

Lancez-vous, expérimentez, et découvrez le plaisir de prendre soin de vous et de votre environnement avec des créations faites main.